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L’Université algérienne est-elle en Déliquescence ? Un difficile état des lieux (1re partie)
1. Evaluer l’université algérienne : une gageure
Il n’est nullement dans mon intention de tenter de dresser un bilan complet de l’université algérienne. Je reconnais même d’emblée être assez mal équipé pour pouvoir le faire.
D’ailleurs, un enseignant appartenant à cette université depuis plus de trois décades pourrait-il être un observateur impartial ? On pourrait alors me tacler sur la pertinence pour moi d’aborder le sujet ! Et bien, tout modestement, mon but pourrait être de déblayer le terrain en apportant une contribution critique et des pistes d’action…
En fait, ma réponse a été aiguisée par celle d’un collègue syndicaliste, qui en avait brossé un bilan des plus funestes(1), au point qu’on aurait pu s’étonner que cette université si égrotante n’ait pas déjà été enterrée, d’un côté.
D’un autre, les bilans présentés par les services concernés du MES, qui souvent se limitent à des statistiques, sont trop triomphalistes pour permettre une évaluation objective. En fait, ni rengaine anti-système ni bilan dithyrambique de bureaucrates zélés, ne sauraient se substituer à une analyse sereine et impartiale(2).
Je reconnais qu’un jugement comparatif des performances de notre université avec celles des autres universités de par le monde serait catastrophique au vu du nombre d’indicateurs dans le rouge chez nous, mais cela serait ô combien injuste.
J’assumerais que ses performances doivent être jugées à l’aune des missions qui lui ont été imparties, des contraintes auxquelles elle a fait face et aussi de sa résilience et de sa capacité à se réformer. Porter des jugements définitifs et à l’emporte-pièce sur sa perdition irrémédiable est inconvenant et ne mène à rien.
L’optimiste impénitent en moi, et au vu des ressources humaines et points forts que notre université recèle encore, pense que notre université peut sortir de sa médiocrité actuelle et rebondir pour devenir performante, si des mesures énergiques de redressement sont prises, malgré l’énorme passif qu’elle traîne comme un boulet.
Les deux missions de base de l’université sont la formation et la recherche. L’enseignant est au cœur de ces deux processus, tandis que l’étudiant est récepteur et marginalement participant.
Nous passerons tout d’abord en revue de manière critique chaque composante, avant de parler des pratiques qui fragilisent l’université algérienne, et de conclure par une série de recommandations. Nous commencerons, à tout seigneur tout honneur, par les enseignants.
2- Le corps enseignant, la cheville ouvrière de l’université
Enonçons d’emblée un fait assez évident, l’enseignant est le cœur vibrant de l’université et son âme. Contrairement à d’autres entreprises économiques ou industrielles, où le capital est les buildings ou les machines ou les investissements de manière générale, ici le capital est essentiellement l’humain.
C’est bien lui qui façonne le produit final qu’il forme, mal forme ou encore déforme. Au vu de ce prodigieux réservoir de compétences qu’il constitue, la stratégie de toute université qui se respecte serait donc en toute circonstance de mettre le corps enseignant en exergue et au cœur des missions de l’université.
Par contre, l’administration, omniprésente et souvent omnipotente, devrait s’effacer pour se mettre au service de la communauté universitaire et ne devrait pas s’accaparer la charge de représenter l’université dans les médias, ce qui amène à fausser l’image de l’université. Il est aussi manifeste que toute tentative de déstabiliser le corps enseignant en le brimant ou en le marginalisant est attentatoire au bon fonctionnement de l’université elle même3.
Des carrières mal gérées et des effectifs pléthoriques
Si l’université s’adosse à ses enseignants pour sa raison d’être, il est fondamental de prendre soin de cette composante vitale et de s’atteler à constamment la valoriser et lui permettre de s’épanouir. La grande tragédie de l’université algérienne est la mauvaise gestion de son potentiel humain.
A part un certain nombre qui ont une carrière lumineuse, la majorité, hélas, n’ont pu se «bootstrapper» et sont restés dans le minimum possible. Ils enseignent depuis des décennies, mais ne sont pas performants académiquement. Ni l’administration ni les différents conseils scientifiques n’ont su leur tracer un plan de carrière pour les faire progresser et sortir de leur état de tassement professionnel.
Ajoutons le cas de ces centaines d’enseignants recrutés trop vite et qui ne progressent pas dans leur carrière, certains jusqu’à une certaine époque restaient inscrits «à vie» au doctorat. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs pris leur retraite en tant que maîtres-assistants ou moins, sans n’avoir jamais rédigé une seule publication scientifique ou encadré des étudiants.
De cette réalité découle une autre tare, la non-optimisation des effectifs enseignants. Prenons un exemple parmi d’autres, mon propre département de physique, avec ses quelque 150 enseignants, les deux tiers de rang magistral, dont la moitié avec le titre de professeur.
D’ailleurs, il a plus d’enseignants que d’étudiants de physique ! Pourtant cela n’empêche pas une bonne partie des étudiants de se sentir abandonnée.
L’enseignant trop souvent effectue sa charge horaire et déguerpit pour ne plus être revu souvent jusqu’à l’examen. Le gâchis de ressources humaines apparaît de manière criante quand on réalise qu’une bonne partie de la charge horaire de ces enseignants de rang magistral consiste en fait à assurer des TD et des TP, ce qui ne devrait jamais être le cas.
Or, ces quarante enseignants de rang de professeur devraient constituer une prodigieuse force de frappe, où idéalement, chacun devrait être un pôle où gravitent doctorants, jeunes chercheurs et vacataires. Il y a des départements de physique dans des «Colleges»(4) aux Etats- Unis qui tournent avec un seul professeur de physique et son équipe, et qui sont en charge de tous les modules de physique du «College».
En résumé, non seulement il n’y a pas de vie scientifique conséquente, mais en plus, l’enseignement se réduit à la portion congrue, avec en plus pas d’«heures de bureau» qui font pourtant partie de la charge d’enseignement des enseignants de rang magistral, ni même de tutorat qui, pourtant, est le point fort du système LMD.
Quant à nos bibliothèques, elles sont devenues des dépôts de vieux ouvrages et de revues scientifiques, dont l’abonnement s’est arrêté depuis des décennies.
Notons aussi qu’une université sans maîtres à penser, sans chercheurs émérites, sans modèle propre de recherche et sans traditions, est stérile académiquement et mérite difficilement d’être appelée comme telle.
Les conséquences incommensurables de la fuite des cerveaux
La fuite des cerveaux est évoquée, mais trop souvent comme une simple fatalité à mettre au chapitre pertes et profits, qui priverait quelque peu l’université algérienne d’une partie de son potentiel, se focalisant souvent sur son coût pour l’Etat. On parle de ces milliers d’Algériens brillants formés à l’étranger dans les années 1970, 80 et 90 pour ne plus jamais revenir.
Ajoutez à cela, comme une saignée perpétuelle, ces vagues de cadres et universitaires qui migrent vers des horizons plus rétributeurs et où leur compétence est mieux mise à profit. En fait, la perte qu’ils représentent pour l’université algérienne est incommensurable, car la compétence et la performance sont un multiplicateur de plus-value, quoique difficilement quantifiable.
Ces générations d’étudiants qui ont poursuivi leurs études à l’étranger et ne sont jamais revenus sont pour la plupart la crème de leurs promotions. Ils ont fait perdre à l’université algérienne son suc, sa substance vitale. La faiblesse endémique de notre université est en grande partie à imputer à cet écrémage.
Ceux qui se sont formés localement, ou même ceux qui sont revenus trop vite et qui opèrent dans des «man’s land scientifiques» que sont la plupart de nos départements hélas, ne peuvent être comparés à ceux qui sont devenus de véritables machines à publier et à inventer, parce qu’évoluant dans un environnement compétitif intense, qui leur a permis de décupler leurs capacités propres.
Citons comme simple exemple le cas d’un collègue qui enseignait à un moment donné dans une université algérienne en régime de «rendement minimal» et qui se trouve depuis deux décennies dans une université à l’étranger où il est à la fois chef de département, enseignant, responsable d’un centre de recherche, éditeur d’une revue scientifique, conseiller académique du recteur…
3- Les étudiants, le maillon faible
Les étudiants sont le deuxième terme du diptyque. C’est la raison d’être majeure de l’université : former des diplômés compétents à même de s’insérer sur le marché du travail et de poursuivre une carrière réussie.
Notons cette incongruité que facilement 80% des diplômés n’exerceront pas dans le domaine lié à leurs études, vu l’inadéquation tragique entre les profils de formation et le marché du travail, surtout pour les profits scientifiques.
Bien sûr, la qualité de la formation dépend directement de la compétence des enseignants qui, globalement parlant, laisse à désirer pour les raisons explicitées plus haut. Il n’est donc pas étonnant que la qualité des diplômes elle aussi laisse à désirer.
Mais précisons que quand bien même une bonne partie du corps enseignant n’a pas l’excellence désirée, il y en a par contre un nombre appréciable fortement doué, ce qui compense en partie la faiblesse générale. Puis il y a aussi une minorité d’étudiants qui s’en sortent très bien et qui, une fois ayant complété leurs études en Algérie, sont admis haut la main dans des programmes internationaux compétitifs.
Qui blâmer pour le bas niveau des étudiants en général. Les enseignants pointeront du doigt le niveau avec lequel les étudiants arrivent à l’université. Je blâmerais plutôt l’enseignant, sa mission est de motiver, combler ses lacunes et de former. Or, les enseignants se plaignent du niveau, mais font bien peu pour y remédier.
Ils auraient un programme à finir ! Bien sûr, l’administration avec certaines de ses pratiques déplorables et l’environnement général ou «système» est aussi pour quelque chose.
Source : https://www.elwatan.com/pages-hebdo/etudiant/un-difficile-etat-des-lieux-1re-partie-10-07-2019